« Comment la France extermine ses dauphins ». C’est l’intitulé-choc de la campagne que lance l’ONG de protection des océans Sea Shepherd, afin d’« alerter sur le sort » de ces mammifères marins le long des côtes françaises. Sur la seule période de janvier à mars, affirme-t-elle, et au large des seuls rivages de Vendée et de Charente-Maritime, environ 6 000 dauphins sont tués en moyenne chaque année, victimes des chalutiers pélagiques utilisant des filets traînés par deux bateaux (technique dite « en bœuf ») et des chalutiers industriels. Des chiffres bien supérieurs, ajoute Sea Shepherd, à ceux des globicéphales et autres cétacés « massacrés », selon des méthodes de chasse traditionnelle, dans les îles Féroé, au Danemark, et dans la baie de Taiji, dauphins au Japon.
A l’appui de sa dénonciation, Sea Shepherd rapporte qu’un de ses navires, le Bob-Barker, a patrouillé le week-end du 24 février sur le plateau de Rochebonne (un haut-fond du golfe de Gascogne) et a filmé deux chalutiers remontant des dauphins pris au piège dans leurs filets. « Cette scène macabre se reproduit toutes les nuits, toute l’année, avec un pic entre janvier et mars », dénonce l’ONG.
En cause, la pêche au bar sur des zones de reproduction des dauphins. « La mortalité qui leur est infligée par les bateaux de pêche met en péril la survie de la population à moyen terme », s’inquiète l’ONG. D’autant, poursuit-elle, que ces animaux « sont particulièrement vulnérables, avec une faible fécondité et une grande sensibilité à la pollution chimique et plastique ». A quoi s’ajoute la raréfaction de leurs ressources alimentaires du fait de la surpêche. « Si nous voulons encore voir des dauphins en France demain, il est urgent de prendre des mesures de protection drastiques », prévient l’organisation.
L’Observatoire Pelagis (CNRS-université de La Rochelle), chargé du suivi de l’état de conservation des populations de mammifères marins, brosse un tableau plus nuancé. Au cours de l’hiver 2017, indiquent les scientifiques, environ 4 000 dauphins communs auraient été tués par capture accidentelle dans le golfe de Gascogne. Sur la période 2000-2009, le nombre annuel de morts varie de 2 000 à 8 000 individus dans le golfe de Gascogne et la Manche ouest, soit une moyenne proche du chiffre avancé par Sea Shepherd, mais sur une année entière.
Les chercheurs précisent que cette population de cétacés a été estimée en 2011-2012 à 180 000 individus dans cette zone, et évaluée en 2016 à 470 000 spécimens dans l’océan Atlantique nord-est, ce qui peut tendre à relativiser la menace pour la survie de l’espèce. Pour autant, souligne Pelagis, « la capture accidentelle dans un engin de pêche est la principale cause de mortalité observée chez le dauphin commun depuis le début des années 1990 ». Et l’ampleur de cette mortalité est effectivement « préoccupante » pour le maintien de ces mammifères marins. D’autres espèces sont du reste des victimes « collatérales » de la pêche au large des côtes françaises, quoique à un moindre degré, comme le marsouin commun, le grand dauphin, le dauphin bleu et blanc, le phoque ou, en Méditerranée, certaines tortues.
Réagissant à cette campagne, le Comité national des pêches assure que « la France protège ses dauphins ». Il fait valoir que d’autres facteurs de mortalité entrent en jeu, comme des « causes naturelles » ou des « pathologies », que « la population n’est pas en voie d’extinction » et que « les professionnels, étant les premiers affectés par ces captures accidentelles, mettent tout en œuvre pour les éviter au maximum ».
De leur côté, le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, et celui de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, ont assuré, mercredi 28 février, que « la France rest[ait] mobilisée pour limiter les captures accidentelles de petits cétacés en Atlantique ». Un groupe de travail a été mis en place à l’hiver 2016-2017, à la suite de l’échouage de 800 dauphins sur le littoral. Il a pour objectifs de « mieux comprendre les interactions entre les flottes de pêche et les populations de petits cétacés », d’« améliorer le suivi des captures accidentelles » et de « prévenir » ces dernières. L’une des pistes envisagées est le recours à des émetteurs d’impulsions sonores repoussant les cétacés hors des zones où ils risquent d’être pris dans un engin de pêche. De tels systèmes de « dissuasion acoustique » sont en cours d’expérimentation et un appel à projet a été lancé en janvier.
Sea Shepherd n’en demande pas moins à la France d’interdire la pêche au chalut sur les zones de reproduction du bar et de mettre en place une meilleure surveillance des pêcheries. Quant aux consommateurs, l’ONG les invite à « manger moins de poisson »et à « boycotter systématiquement ceux issus de la pêche au chalut ».